FacebookInstagraminfo@christophecanato.com

Art contemporain

Cet Etrange Objet Du Réel

L’exposition Cet étrange objet du réel, détournant le titre illustre d’un film de Buñuel et lâchant l’obscur désir pour un étrange réel, rassemble sur les murs de l’Espace Vallès six artistes très différents : Christophe Canato, Manuel Dessort, Estelle Jourdain, Nadine Lahoz-Quilez, Johan Parent et Philippe Veyrunes. À travers la confrontation de leurs œuvres, les animateurs du centre d’art contemporain martinérois – Frédéric Guinot et Bertrand Bruatto – ont voulu susciter une sorte d’enquête. Ce n’est pas tant le réel de tout objet qui est ici interrogé que le sentiment d’étrangeté de chaque proposition et de ce que leur rapprochement provoque. Et c’est bien la définition possible de l’œuvre que vise, en filigrane, cette investigation : ce qu’on peut percevoir et comprendre de cet étrange objet du réel, ce qui en lui forme attirance. À chaque regardeur d’esquisser sa réponse, de décoder à sa manière le réel et ses objets exploratoires, de capter surtout l’étrange résonance qui en émane.

J-P. C.

 

Christophe Canato 

Les images produites par le photographe et vidéaste Christophe Canato (il vit en Australie après avoir étudié à l’École d’art de Grenoble) sont empreintes d’une certaine dramatisation. Un observateur avisé a caractérisé son travail et sa vision de « romantisme ironique », indiquant par là la distance que l’artiste inscrit dans son penchant à l’expression du sentiment. Prolongeant une série de photographies intitulée Ricochets, une vidéo donne à voir un rituel nocturne entre deux garçons affublés de masques d’animaux. Les gestes qu’ils esquissent en guise de langage codé, s’ils tiennent de l’imaginaire du jeu d’enfants, suscitent une inquiétante étrangeté, tant le mystère de leur signi cation nous échappe. Extraite d’une autre série, une photographie de deux hommes prête à une lecture ambiguë sur le thème du double.

 

Manuel Dessort

Peintre et décorateur, Manuel Dessort (il a étudié à l’École d’art de Dijon puis Paris et vit dans la région grenobloise) mène en parallèle à son activité profes- sionnelle un travail de peinture et de dessin sur papier, tout en revendi- quant un lien naturel avec le chantier, son univers quotidien. Il considère que « tout support blanc immaculé est indécent et doit être investi ». Partant de ce principe catégorique, il « lâche tout » et, musique à fond dans l’atelier, révoquant l’ennui et armé de couleurs, il se jette « sur le vide papier que la blancheur défend », qui obnubila Mallarmé. Les in uences que Manuel Dessort énumère – Twombly, Basquiat, Van Gogh, Eugène Leroy, Richter et Debré – transparaissent dans l’énergie sauvage qui anime sa touche et la profusion de sa palette. L’organisation spatiale et rythmique de ses œuvres portent un écho des musiques écoutées au moment de leur réalisation.

 

Estelle Jourdain

Estelle Jourdain (elle a étudié à Montpellier puis à l’École d’art de Valence et vit à Avignon) utilise conjointement deux médiums : la sculpture et la photographie. Elle veille avec sa sculpture, toujours en métal et très structurée, au rapport avec le lieu dans lequel celle-ci trouvera place. Par cette démarche in situ, elle questionne l’espace a n de pouvoir mieux l’appréhender. Avec la photographie, elle capte le réel pour s’en éloigner davantage. « Le sujet, isolé du contexte initial, perd son rapport d’échelle dans un espace épuré. Il est transformé par la lumière jusqu’à frôler parfois l’abstraction, laissant place à l’évocation, la sensation pure », écrit-elle. Sculpture et photographie se rejoignent lorsqu’elle intervient sur ses images en les brodant d’un l métallique dont le tracé s’adapte au contenu, retrouvant par ce geste sa façon d’agir sur l’espace et son volume.

 

Nadine Lahoz-Quilez

Le travail plastique de Nadine Lahoz-Quilez (elle a étudié à l’Université de Strasbourg et vit dans la Loire) se développe essen- tiellement autour du corps considéré dans une approche sociétale. Elle s’attache à tout ce qui le pare et l’investit d’une signi- cation symbolique : tatouages, vêtements, masques, ornements. Elle s’intéresse aussi à son enveloppe, comme à ses organes ou à sa pilosité, le poil étant ici comparé au l dont est constituée une vêture. La ré exion qui guide ses recherches l’entraîne à convo- quer un imaginaire foisonnant et nombre de ses réalisations s’apparentent à des rituels ou des accessoires cérémoniels. Ses créations peuvent prendre la forme de dessins, de performances, d’installations ou d’objets. Les Objets de vénération, une série sur laquelle elle travaille actuellement, se présentent comme des vanités baroques, les métaphores ésotériques qu’aurait élaborées une peuplade chimérique.

 

Johan Parent

On peut inscrire la production de Johan Parent (il a fait ses études à l’École d’art d’Annecy et vit à Grenoble) dans la lignée des machines célibataires de Marcel Duchamp ou de celles, plus burlesques, de Jean Tinguely. Il réalise, selon sa dé - nition, des « performances d’objets », des œuvres hybrides combinant installations, vidéos et dessins, où des objets familiers se mettent à fonctionner de manière autonome. Ces dispositifs sont animés d’un mouvement mécanique dépourvu de toute nalité. Leur automatisme absurde parodie les aspects kafkaïens de nos univers techniques déshuma- nisés. En mettant en service ses machines autosuf santes et contre-productives, Johan Parent questionne ainsi l’un des malaises de notre époque où l’objet prend souvent une place inquiétante.

 

Philippe Veyrunes

Concepteur lumière et scénographe pour le spectacle vivant, Philippe Veyrunes (il a étudié à l’École d’art de Dijon et à l’Academy of art de New York et vit à Grenoble) développe parallèlement un étonnant travail de dessin. Sur des feuilles de très grand format, il aligne à la mine de plomb des milliers de traits comme s’il tissait la trame d’une étoffe inconsis- tante faite de très ns ls d’ombre. Il se laisse guider par la courbe du geste qu’il improvise et répète in niment, avec une patience sans faille. Par moments, par endroits, la main suspend son geste et consent une éclaircie dans la nuée de traits, ouvre une clairière dans la frondaison des coups de crayon. Ces lacunes aux contours aléatoires où le papier est laissé à sa blancheur ébauchent des formes suggestives, créent des gures indécises, inabouties ou naissantes, des schèmes ottants que délivre la trame vibratoire de la composition. Paradoxalement, par la retenue et l’absence, le dessin peut dévoiler un processus d’apparition.